Le nom de Levinas est devenu une référence familière pour
qui s'interroge sur l'éthique et la responsabilité. Née de l'expérience
tragique des événements du XXe siècle, sa réflexion renverse
la conception classique des philosophies morales ou des philosophies
du sujet : l'éthique devient «la philosophie première», et le
sujet n'advient qu'à partir de la relation à autrui. En retentissant
comme un appel à ce que «cela» n'ait plus jamais lieu, la pensée
de Levinas s'élabore également dans une discussion critique avec
les «maîtres» de la recherche phénoménologique et de l'inspiration
puisée dans le judaïsme. Se distinguant de l'obéissance à la
«lettre», Levinas va néanmoins rester fidèle à «l'esprit» de la
phénoménologie, en lui faisant prendre ce tournant éthique qui
fait son originalité.
Levinas montre que le risque de la violence faite à autrui
commence dans les procédures de pensée lorsqu'elles privilégient
le ressort de l'identité au détriment de l'incommensurable altérité
; il établit du même coup qu'il faut penser - et écrire - tout
autrement, de façon à ne pas enfermer l'infini dans le concept :
comment penser, comment vivre pour ne pas «réduire l'autre au
même».
La responsabilité autour de laquelle se recomposent la philosophie,
la morale et le sujet est d'abord réponse faite à autrui.
En partant de la manière particulière dont autrui se manifeste,
Levinas nous montre comment nous sommes mis dans une situation
de responsabilité sans l'avoir cherché ou demandé - l'appel
d'autrui précédant toute réponse, devançant toute liberté. Quel
sens donner alors à la phrase de Dostoïevski, constamment
reprise par Levinas : «Nous sommes tous responsables de tout et
de tous devant tous. Et moi plus que tous les autres» ?
Date de parution
9/8/2004