DECHIFFRER LES CENDRES : POEMES
Jerzy Ficowski étonne par l'étendue de ses connaissances et par la qualité de ses engagements. Pour la cause de la poésie tout d'abord : il est un
Jerzy Ficowski étonne par l'étendue de ses connaissances et par la qualité de ses engagements. Pour la cause de la poésie tout d'abord : il est un des plus grands poètes polonais vivants, enfin universellement reconnu à quatre-vingts ans, mais aussi un traducteur inspiré de la poésie roumaine, dalmate, espagnole, russe... Et le porte-parole en Pologne de la poésie tsigane et juive. Il a découvert, traduit, défendu la poésie des tsiganes polonais et sa porte-parole Papusza. Il est le "découvreur" de Bruno Schulz qui, sans ses efforts incessants, n'aurait pas subsisté dans la mémoire littéraire du monde. Il a traduit la poésie populaire juive et aussi les poètes yiddish, tant d'avant-guerre que de l'Anéantissement, comme Itshak Katzenelson et son Chant du peuple juif assassiné. Et surtout - sommet de la compassion et de la solidarité humaine - il s'est lui-même fait poète de la Shoah, dans ce recueil Déchiffrer les cendres qui est enfin aujourd'hui mis sous les yeux du lecteur francophone. Quelques fragments de réflexion sur la poésie de Jerzy Ficowski (...) À chaque pas nous sommes témoins de "l'exécution de la mémoire". Cette multiplicité des significations du silence atteint le noyau même de la poésie : je voudrais me taire seulement en me taisant je mens je voudrais aller seulement en marchant je piétine (...) Et ces éléments, qui s'étonnent mutuellement, se lient comme souvent chez Ficowski, en des visions mi-moqueuses mi-attendries, et provoquent un choc violent. Ce qui lève ce poème - comme on lève les sourcils - c'est l'immense étonnement, un cri d'étonnement : cela est donc arrivé, cela a pu arriver ! (...) Tendresse des prénoms. Tendresse de la mémoire. Tendresse des deux mères, la juive et la polonaise du beau poème Tes mères toutes les deux, dédié à sa femme Bieta. Anna Kamienska Sur mon ami Jerzy Ficowski (...) Il me semble que c'est Mnémosyne qui est la muse de la poésie de Ficowski, pour parler plus simplement - la mémoire. Nous avons l'amère conviction que l'écriture, fût-elle la plus noble et la plus saisissante, n'est pas en mesure de sauver le monde, ni même un seul être humain. Mais de cette infirmité il faut tirer une conclusion positive : il n'est ni force ni instance qui puisse nous libérer du devoir de stigmatiser le crime et de parler au nom des victimes. (...) Dans Déchiffrer les cendres, Ficowski a accompli un exploit en apparence impossible - il a donné une forme artistique convaincante à quelque chose que la parole ne peut embrasser. Il a rendu aux anonymes un visage humain, une souffrance humaine individuelle, et donc il leur a rendu la dignité (...). Zbigniew Herbert