ALYAH
Extrait
C'est le matin, vite, il faut se réveiller, se laver, enfiler un jogging, préparer les enfants pour l'école. Leur servir le petit-déjeuner, des céréales pour la grande et des oeufs sur le plat pour le petit, du chocolat au lait, vite, nous sommes en retard, il faut se dépêcher, s'habiller,
Extrait
C'est le matin, vite, il faut se réveiller, se laver, enfiler un jogging, préparer les enfants pour l'école. Leur servir le petit-déjeuner, des céréales pour la grande et des oeufs sur le plat pour le petit, du chocolat au lait, vite, nous sommes en retard, il faut se dépêcher, s'habiller, se brosser les dents, vérifier que tout est prêt, ne pas oublier de se coiffer, ou plutôt de s'ébouriffer pour le petit, le goûter, la bouteille d'eau, et les quinze euros pour la coopérative, prendre les affaires, les blouses, puis sortir, marcher jusqu'au métro. Répondre à leurs questions : «Ce soir, nous sommes chez Papa ou chez toi ?», regretter de ne pas leur avoir mis leurs doudounes car nous sommes au printemps mais il fait froid. Depuis une dizaine d'années, il fait tout le temps froid, sauf en septembre, lorsque l'été indien perdure, parfois même jusqu'en octobre et alors, soudain, il fait une chaleur étrange.
Descendre dans le métro, courir, prendre place sur les sièges inconfortables, sous une sonnerie continue. Sentir cette odeur caractéristique, un mélange de plastique, et des effluves de tous les passagers. C'est l'heure de pointe. Assis côte à côte, les enfants bavardent, le cartable sur le dos.
- Maman c'est quoi une école publique ? C'est différent de l'école juive ?
Des gens nous observent. Je sens leur regard sur nous. Je fais signe à mon fils de se taire. Il me considère de ses grands yeux ébahis.
- Tu ne m'as pas répondu !
- Ben oui, dit la grande. Pourquoi nous on est à l'école juive et toi tu enseignes à l'école publique ?
Ils ne comprennent pas que nous devons rester discrets ; qu'il faut éviter de parler de cela. Ou bien, alors, chuchoter. Nous ne pouvons plus claironner certains mots en dehors de chez nous. Lorsque nous sommes au grand air, je les rassemble devant moi et je leur explique la situation.
- Quand nous prenons le métro, nous ne devons pas faire allusion au fait que nous sommes juifs. C'est la même chose dans le bus, les taxis et dans tous les transports en commun. C'est également valable dans les cinémas, les magasins, les parcs et les jardins. C'est bien compris ?
- C'est compris, dit la grande.
- Mais ça ne se voit pas, qu'on est juifs ? demande le petit.
Je les regarde. Ils ont les cheveux châtains, les yeux bruns, le teint diaphane. Je suis comme eux, la peau claire, avec les yeux étirés, bridés telle une Asiatique, les pommettes hautes, le nez fin, assez grande, assez mince. Les enfants portent des lunettes, des jeans, des baskets et des blousons comme tout le monde. Nous pourrions être espagnols, vietnamiens, arabes ou berbères. Ou même français, comme tout le monde. Et comme nous.
- Non, tout va bien. Ça ne se voit pas. Donc, on fait en sorte que cela ne se sache pas non plus.